Le Village de Beuil

Depuis le XVIe siècle en mai et septembre, on y rassemblait les troupeaux, les bovins particulièrement. C'était à qui ferait la meilleure affaire : bouchers et maquignons venaient même du littoral rencontrer les éleveurs ; après d'âpres discussions, marché conclu, on se retrouvait à la table d'un des cafés qui ces jours-là, faisaient leurs meilleures journées.

Ces échanges traduisaient aussi des liens ancestraux entre les villages des vallées du Var, de la Tinée et de la Roudoule.

En bas, on aperçoit la Condamine, terre réservée au seigneur, par la suite très morcelée ; chaque parcelle était précieuse car le site bien ensoleillé, proche du village, s'avérait idéal pour cultiver blé, pommes de terre et les fameuses lentilles.

...sera laissée à l'imagination de chacun : on distingue, derrière l'alignement de pierres de taille, l'épaisseur de la muraille en blocs grossiers unis par un mortier blanc.

Le 26 mai 1581, Honoré II de Grimaldi, loyal à l'égard du duc de Savoie, obtient le titre de Comte de Beuil et des charges importantes à Nice. Son fils ne suit pas son exemple : « Je suis Comte de Beuil, je fais ce que je veux » : Annibal donne le ton. Dévoué, frondeur, provocateur puis traître, il pousse à bout le duc qui le fait arrêter, juger et exécuter en 1621, mettant un terme à la plus grande seigneurie du Comté de Nice.

Le château de Beuil est rasé. Dès 1633, ses belles pierres taillées sont utilisées au village comme pierres d'angle, linteaux, encadrements de fenêtres.

Au plus haut de ses maisons résolument orientées au sud, se trouvent de petits balcons, les souleiaires, protégés par les débords de toit, où l'on faisait sécher les fruits. Les habitations formaient une enceinte contre les brigands et les loups. Un espace entre deux maisons était fermé par un mur, le barri, qui, une fois le village sécurisé, a laissé place aux escaliers en zigzag. En contrebas se trouvent les horts (du latin hortus, le jardin), ces potagers si précieux aux villageois, mosaïques de parcelles dévalant plein sud jusqu'au pied du promontoire. Comme l'ensemble des terroirs aujourd'hui, ces jardins sont en partie délaissés et envahis par une végétation arbustive.

Autrefois, les villageois couvraient le toit de leurs maisons avec des planches de mélèze, un matériau de choix, imperméable, pérenne et esthétique, car même laissés au naturel les bardeaux se teintent avec le temps d'une couleur grise argentée.
Il faut le faire sécher pendant trois à cinq ans et lui faire deux rainures pour que l'eau s'écoule du toit. Les planches d'un mètre sont posées au bord du toit. Puis, par-dessus les planches de deux mètres décalées pour que l'eau ne coule pas dans les joints.
De nos jours, souvent on pose des tôles dessous, et seulement une épaisseur de planches par-dessus par esthétisme : le faux bardage.

Dédiée à Notre-Dame de la Miséricorde, elle fut restaurée en 1630, utilisée et entretenue par la « vénérable confraternité » qui s'y « assemblait tous les dimanches et fêtes pour chanter l'office de Marie ». La confrérie, formée de laïcs associés dans un but de secours mutuel, jouait ici un autre rôle original : en son sein étaient nommés les collecteurs du mont Granatique, ou montistes. Ce fond de grains était acheté à l'automne grâce aux legs de particuliers, conservés dans le grenier situé au-dessus de la chapelle puis redistribué sous forme de prêt à intérêt quasi nul.

Très longtemps à l'abandon après l'extinction de la confrérie, la chapelle, aujourd'hui classée, présente une toiture en bardeaux de mélèze, une façade en trompe-l'oeil, restaurée par Guy Ceppa en 1984 sur laquelle on peut admirer un cadran solaire portant la devise « soli honor et gloria» (à Dieu seul honneur et gloire).

Ce buste se dresse à l'emplacement de sa maison natale dont la démolition, en 1938, a désenclavé l'église. Né en 1813, ce théoricien militant du libéralisme économique était à Paris lors des journées révolutionnaires de 1830, où il manifesta avec les étudiants républicains. En 1870, il a aussi assisté aux mois terribles de la Commune de Paris. Élu sénateur des Alpes Maritimes en 1876, il est à l'origine de l'ouverture, en 1893, de la route des Gorges du Cians qu'il ne verra pas, car il meurt en 1881.

Le lavoir de Beuil a pour particularité d'être curieusement séparé en trois parties voûtées.
Ici, l'approvisionnement en eau a longtemps été un problème, résolu dans les années 1900. L'eau courante arrive dans les maisons plus tard, et dans bien des familles, charrier l'eau reste une corvée jusqu'aux années cinquante : la lessive se faisait le jeudi, jour de repos scolaire pour que les bras ne manquent pas.

Initialement chapelle, l'église n'est devenue paroissiale qu'après 1794 date à laquelle un incendie détruisit l'église St Jean-Baptiste enclavée dans le cimetière au bord de la Condamine. Les Beuillois choisirent donc pour accueillir leur saint patron cette imposante chapelle d'un gothique tardif, dont le clocher accolé à l'édifice témoigne de la persistance du roman lombard du XVIe siècle. La loggia en façade date de l'après-guerre et ajoute au caractère composite de l'ensemble. À l'intérieur, la décoration baroque lui donne chaleur et fantaisie : la toile du Rosaire surmontée de la statue de St Jean-Baptiste indique la double consécration du lieu.

Daté d'août 1523, ce linteau sculpté « en réserve » (en relief), porte le nom et les armoiries de Loïs Serre, chanoine de Clans, qui fut secrétaire particulier d'Honoré 1er, baron de Beuil.

Ré-emploi (récupéré du château par exemple) ou élément d'origine ? Impossible d'affirmer que Loïs Serre habita effectivement à cet endroit du village. En revanche, son prestige fut d'autant plus grand à Beuil et dans le fief, que le Baron souvent retenu à Nice par ses fonctions de gouverneur, lui déléguait ses pouvoirs.

Ainsi, on retrouve ses armoiries à Clans et il est représenté en donateur sur une fresque de 1513 à Roubion.